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Camille a des mots
28 juillet 2007

Nouvelle numéro 3 (Oui, c'est son titre....)

Marine est danseuse. Elle appartient à une troupe contemporaine. Marine a vingt-deux ans, un corps de rêve et une terrible envie de le déformer. Marine veut un bébé.

« Non ! » lui a répondu Pierre lorsqu’elle lui a soumis son désir, « Non ! Il est hors de question que tu gâches ta carrière pour un rejeton. »

         Et pourtant, sa carrière c’est bien la dernière chose qu’elle avait en tête. Pourquoi n’aurait-elle pas le droit d’être une femme comme toutes les autres ? Elle qui parcourait le monde avec sa troupe, ne rêvait que d’une seule chose : une petite maison dans la campagne, un chien, quelques chats, pourquoi pas un poney dans un pré et puis trois enfants. C’est un peu fleur bleu mais Marine y pensait en permanence, lors des répétitions, lors des galas, lorsqu’elle était dans sa loge, en se maquillant… Cela devenait une véritable obsession.

« Mais tu as tout le temps de faire des enfants. Crois moi, la fin de ta carrière viendra bien assez vite ! »

Mais elle s’en fichait. C’est maintenant qu’elle voulait découvrir la joie d’être enceinte, d’enfanter, de fonder une famille. Elle en venait même à l’idée de partir à la recherche d’un « homme consentant » comme elle aimait dire.

« Ne soit pas ridicule » lui avait dit Pierre « Tu n’aimes que moi et on ne fonde pas une famille sans amour »

Comment pouvait-il être aussi sûr de lui ? Et pourtant, au fond d’elle, Marine savait qu’il avait raison. Voilà quatre ans qu’elle s’était offerte à lui et lui, à elle. Jamais elle n’avait désiré un autre homme. En fait, elle ne pouvait imaginer la vie sans Pierre. Même pour son plus cher désir ? Elle avait pensé le mettre devant le fait accompli et arrêter la pilule. Comment sortir de cette impasse ? Marine était complètement tiraillée entre l’homme qu’elle aimait et son désir d’enfant.

         Ce matin là, elle en était arrivée à la conclusion que Pierre avait raison. Ils avaient le temps, et puisqu’ils s’aimaient et puis Pierre n’avait rien contre le fait de fonder une famille, alors elle patienterait un peu. Elle n’entendit pas tout de suite qu’on frappait à sa porte. Lorsqu’elle finit par ouvrir, deux hommes étaient sur le seuil.

« Marine Delers ? »

« Oui, c’est moi. »

« Nous sommes de la police » dit l’homme en montrant sa carte. « Vous êtes bien l’amie de Pierre Cissou ? »

« Oui » Marine ne voyait pas trop le rapport entre Pierre et ces deux hommes.

« Mademoiselle, nous avons le regret de vous apprendre la mort de votre ami. Il faudrait que vous veniez avec nous. Pour reconnaître le corps. »

« Je viens »

Elle mit ses chaussures, prit son manteau et son sac. En partant elle regarda la pièce comme pour mieux la mémoriser, comme si elle avait peur de ne pas la reconnaître. Arrivés à la morgue, les deux hommes et la jeune femme traversèrent les longs couloirs jusqu’à la salle d’autopsie.

« Venez »

         Le médecin légiste découvrit le drap et Marine confirma que c’était bien Pierre.

« Merci. Nous allons vous ramener chez vous »

« Non, ça ira, j’ai besoin de prendre l’air. Je vais marcher un peu et puis je prendrai un taxi. Mais puis-je vous demander quelque chose ? »

« Euh… Oui, allez-y… »

« Avez-vous des enfants ? »

« Non, pas encore »

« Ah… » et elle partit sans ajouter un mot.

         C’est drôle comme la mort peut choquer les gens et comme leur réaction peut parfois être étrange pensa le jeune inspecteur.

         Quelques jours plus tard, les deux hommes revenaient frapper à la même porte.

« Mlle Delors, vous êtes en état d’arrestation pour le meurtre de Monsieur Pierre Cissou. »

         Le visage de Marine ne trahissait aucune émotion, elle se laissa emmener sans un mot.

         Au tribunal, son apparence calme et l’attitude qu’elle adoptait avec son air de dire « tout cela ne me concerne pas » étaient loin de jouer en sa faveur face aux jurés. Son avocat désespérait. Il se demandait s’il ne valait pas mieux plaider coupable et se dit que ce procès serait peut-être bien le pire de tous ceux qu’il avait défendu jusqu’alors. Et puis, ce ne serait pas encore celui là qui ferait avancer sa carrière.

Marine, plongée dans son mutisme, écoutait pourtant les accusations que le juge énumérait contre elle. Délit de détention de drogue, que par ailleurs elle et son ami consommaient régulièrement. Il l’accusait de diriger un petit réseau de trafic de marijuna. Puis cette drogue ne leur suffisant plus, ils étaient passés à l’étape supérieure, toujours en dealant en parallèle, pour entrer dans le trafic de l’héroïne. Ensuite il lui raconta son désir le plus cher : celui d’avoir un enfant. Tout le monde était au courant dans la troupe que Marine voulait absolument un bébé et que Pierre voulait absolument qu’elle continue sa carrière. Devant le refus de son compagnon, Marine n’avait plus qu’une idée : lui faire payer sa tristesse de ne pouvoir enfanter. Car c’était bien cela finalement, les médecins étaient formels, Marine ne pourrait jamais avoir d’enfant. Pierre l’avait-il découvert ? Toujours est-il qu’un soir elle était arrivée dans sa loge, lui avait préparé, comme tous les soirs, sa « petite piqûre » et comme tous les soirs elle lui avait injecté elle-même la drogue dans les veines. Pierre ne supportait pas les seringues. Seulement, ce soir là, ce n’était pas de l’héroïne que contenait l’instrument mais une substance qui donne le même résultat, en plus rapide : de la soude. Arrivée directement au cœur, pris dans la démence du manque, au moins il n’avait pas souffert.

Marine n’eut même pas besoin de parler. Elle hocha la tête afin de confirmer les accusations qui pesaient contre elle. Son avocat n’en revenait toujours pas. Prison à perpétuité pour meurtre avec préméditation et trafic de drogue. Voilà de quoi écopait Marine.

         Mais Marine était déjà loin.

A la prison elle ne parlait jamais, ne posait aucun problème aux gardiennes qui se demandaient ce qu’avait bien pu faire une aussi « jolie et discrète jeune fille ». Sous la douche, Marine se caressait le ventre.

« Tu vois Pierre, je suis enceinte finalement » et elle riait doucement. Marine était déjà emprisonnée dans sa folie depuis bien longtemps.

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